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Regards croisés

Quelques experts donnent leur avis sur la "taxe sur le CO2" et le "centime climatique".

L'application du Protocole de Kyoto est une question d'actualité en Suisse et le Parlement doit débattre de 2 propositions qui nous toucheraient directement, en tant qu'individus, si elles venaient à être acceptées. Il s'agit de "la taxe sur le CO2" et du "centime climatique".

NiceFuture a demandé aux experts suivants de donner leur avis sur ces propositions.

  • Elena Hauser-Strozzi, responsable de projets politiques des transports, à l'ATE (Association Transports et Environnement).
  • Patrick Eperon, politologue et responsable des affaires politiques du TCS (Touring Club Suisse).
  • Martin Beniston, climatologue, professeur et chercheur scientifique à l'Université de Fribourg.
  • Suren Erkman, spécialiste en écologie industrielle, directeur de l’Institut pour la Communication et l’Analyse des Sciences et des Technologies (ICAST), à Genève et Bangalore.
  • Pascale Morand, spécialiste en matière de responsabilité d’entreprise et développement durable.

Ci-dessous nous vous présentons la compilation des réponses que chacun nous a fourni indépendamment.


NiceFuture : Que pensez-vous de la "taxe sur le CO2" ?

L'avis de Elena Hauser-Strozzi : La taxe sur le CO2 est prévue par la loi sur le CO2 comme mesure supplémentaire si les mesures volontaires ne suffisent pas à atteindre le but de réduction des émissions. Tel est le cas, notamment pour les carburants (les émissions continuent à augmenter au lieu de diminuer). Une taxe sur le CO2 est donc plus que justifiée. La taxe permettrait d’avoir un effet incitatif sur la consommation et les émissions diminueraient en Suisse. La taxe n’est pas un impôt : l’argent récolté est restitué à la population.

L'avis de Patrick Eperon : La taxe sur le CO2 constitue un bon exemple de « l’Alleingang » de la Suisse dans le domaine de la protection du climat. En effet, aucun pays (industrialisé) ne prévoit d’instaurer une telle taxe de 20 à 30 centimes d’impôt supplémentaire par litre de carburant. A la différence du centime climatique, la taxe sur le CO2 ne permet pas de financer des projets qui réduiront la consommation des énergies fossiles (pétrole, gaz). De plus, la taxe sur le CO2 ferait perdre par année à la Confédération quelque 620 millions de francs de recettes fiscales sur les carburants, alors que nos autorités ont déjà la plus grande peine à redresser les finances publiques. Enfin, il faut souligner que la taxe sur le CO2 ne bénéficie d’aucun vote populaire favorable, tous les projets de taxes sur l’énergie ayant été rejetés de 2000 à 2003 en votation populaire.

L'avis de Martin Beniston : Un instrument intéressant s’il est bien appliqué (comme toute taxe dissuasive) ; cependant, il ne faudrait pas que le revenu de cette taxe serve à éponger les déficits de différents départements fédéraux ou cantonaux !

L'avis de Suren Erkman : C'est peut-être pas un gadget, mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne approche. A mon avis, si on veut se libérer de la dépendance aux ressources d'énergies fossiles, ce n'est pas par une taxe qu'on va y arriver. Par définition, une taxe doit rester assez faible pour ne pas devenir un obstacle économique, ce qui la condamne à rester marginale par rapport à l’enjeu environnemental. Mais ce serait éventuellement une chiquenaude utile.

L'avis de Pascale Morand : La taxe sur le CO2 est une excellente idée, mais elle reste malheureusement théorique puisqu’elle n’a pas encore été testée en réalité.  C’est une idée dont le mérite est essentiellement psychologique.  Elle contribuerait à une prise de conscience dont l’effet peut être multiplié par l’utilisation faite des revenus d’une telle taxe. 
Mais son efficacité réelle ne pourrait être vérifiée que si son niveau était assez élevé pour affecter de façon marquante la consommation de combustibles fossiles.  En raison de facteurs d’élasticité économique, ce niveau devrait être trop élevé pour être accepté politiquement.   
Néanmoins, je suis en faveur de la plus grande diversité possible dans l’ensemble des mesures prises dans le cadre d’une politique visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.  Une taxe sur le CO2 a l’avantage d’être une mesure simple, visible, que tout le monde peut comprendre facilement, et qui doit à mon avis appartenir à cet ensemble. 
La force d’une politique en matière de changement climatique ne peut en aucun cas être axée sur un seul instrument.


NiceFuture : Et que pensez-vous du "centime climatique" ?

L'avis de Elena Hauser-Strozzi : L’idée du centime climatique a été lancé pour « empêcher » l’introduction d’une taxe sur le CO2. La réduction des émissions de CO2 serait alors atteinte en grande partie grâce au soutien à des projets à l’étranger (achat de certificats), la plupart dans des pays en voie de développement. La consommation de carburants en Suisse ne serait pas influencée, car le prix de l’essence et du diesel n'augmenterait pas suffisamment. Le centime climatique est surtout le moyen pour les pays industrialisés, grands producteurs de CO2, d’avoir bonne conscience.

L'avis de Patrick Eperon : Le centime climatique est l’instrument dont la Suisse a besoin pour atteindre ses objectifs en matière de protection du climat. Le centime climatique permettra en effet de financer, au meilleur rapport qualité-prix, des projets qui réduisent la consommation des énergies fossiles (pétrole, gaz) en Suisse et à l’étranger. De plus, le centime climatique n’a aucun effet négatif sur les recettes fiscales de la Confédération et il sera bien accepté par les consommateurs puisqu’il ne leur coûtera, comme son nom l’indique, qu’un centime supplémentaire par litre de carburant. Enfin, le centime climatique est compatible avec le Protocole de Kyoto ratifié par la Suisse et soutenu par le TCS.

L'avis de Martin Beniston : Une manière pour les milieux politiques de ne pas prendre leurs responsabilités face à un problème qui ne fait que commencer…

L'avis de Suren Erkman : C'est un gadget, un alibi. Je ne suis pas opposé à son introduction, mais il ne va rien changer fondamentalement au problème.

L'avis de Pascale Morand : Je répondrai à cette question de la même manière que j’ai répondu à la question concernant la taxe sur le CO2.  Un centime climatique est une mesure qui contribue à une prise de conscience.  Comment seront utilisés et gérés les revenus, c’est ce qui me paraît être un élément essentiel.


NiceFuture : Comment appliquer le Protocole de Kyoto en Suisse et dans le monde ?

L'avis de Elena Hauser-Strozzi : La Suisse s’est engagée à signer le Protocole de Kyoto, donc à réduire ses émissions de CO2. Les mesures mises en place jusqu'ici sont insuffisantes pour atteindre ce but, notamment pour les carburants. Les réductions devraient être faites là où la production est la plus élevés, donc dans les pays industrialisés.

L'avis de Patrick Eperon : A problème global (protection du climat), réponse globale! Or, comme chacun sait, les USA, grands émetteurs de gaz à effet de serre, n’ont pas ratifié et ne ratifieront probablement pas le Protocole de Kyoto. En conséquence, les pays (industrialisés) qui ont ratifié Kyoto doivent mettre en œuvre des solutions de protection du climat qui ne les pénalisent pas par rapport au formidable concurrent que sont les USA. Le commerce international de certificats d’émission de CO2, prévu par le Protocole de Kyoto, couplé à des instruments tels que le centime climatique – qui permet de financer des projets de protection du climat – doivent donc remplacer tout projet de taxe à la fois dangereuse pour la compétitivité et antisociale.

L'avis de Martin Beniston : En mettant tout en œuvre pour atteindre les objectifs de réduction fixés par le Protocole, à savoir des mesures législatives (taxe sur le CO2), technologiques (promotion des énergies renouvelables, encouragement des transports publics vs transports individuels, ferroutage, lignes de train à haute vitesse plutôt que l’avion, etc.), et politique (prise de conscience que le but ultime de l’humanité n’est pas de faire le maximum de bénéfices en un minimum de temps, mais plutôt de permettre aux générations futures de continuer à vivre dans un environnement correct et avec encore des ressources à disposition…cela s’appelle « développement économique durable »). Ceci passe entre autres par une sensibilisation par l’éducation à tous les niveaux (scolaire, grand public, formation continue, etc.).

L'avis de Suren Erkman : Tout dépend du système économique du pays. En Suisse, on aurait largement les moyens d'appliquer le Protocole de Kyoto et même d'aller au-delà, ce qui serait nécessaire si on veut vraiment inverser la situation actuelle. A mon avis, d’une manière générale, le Protocole de Kyoto, c'est un peu de la cosmétique. C'est un début de décrochage. Ça permet de se mettre sur la bonne voie, mais à partir de là, ce n'est que le début d'un commencement. On aurait donc tort de considérer les objectifs du Protocole de Kyoto comme un aboutissement. En Suisse le potentiel est très important pour la diminution de la consommation de combustibles pour le chauffage. On peut améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments. Ce qui se fait déjà grâce au standard Minergie, mais on pourrait facilement être plus strict encore. En appliquant simplement le standard Minergie à la plupart des bâtiments, on atteindrait sans problème les objectifs du Protocole de Kyoto.
Toutefois, en Suisse, on a encore un gros problème avec l'utilisation des carburants fossiles, dont la consommation a tendance à augmenter. J'ai d'ailleurs l'impression qu'à l'OFEN (Office Fédéral de l'Energie), on a quasiment baissé les bras sur ce point, ce qui peut se comprendre en voyant la frénésie croissante de déplacements en voiture, de préférence en 4x4 et autres SUV...
On observe du reste une résignation similaire au plan international : dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le climat, la plupart des programmes promus actuellement par les institutions internationales (notamment la Banque mondiale) se concentrent sur l’adaptation aux changements climatiques, reconnaissant ainsi implicitement que la partie est perdue sur le plan de la prévention.

L'avis de Pascale Morand : C’est une question que l’on ne peut répondre que par « cela dépend ».  Chaque nation et région a des spécificités dont elle tiendra compte dans une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.  Les pays économiquement développés décideront des mesures à prendre en fonction de leurs sources d’émission prépondérantes, de leurs ressources technologiques, de considérations économiques, sociales, politiques.  Les pays dits « en développement » s’appuieront sur les mécanismes de Kyoto, tels que le « Clean Development Mechanism » ou la « Mise en Œuvre Conjointe » pour créer des conditions favorables à l’investissement en faveur de réductions d’émissions, de mise en place de sources d’énergies renouvelables ou encore de plantation de forêts. 
Ceci dit, le Protocole de Kyoto n’est pas encore entré en vigueur, car il manque le nombre de ratifications requises.  En outre, il ne prescrit qu’une première étape dans la prise des mesures nécessaires à maîtriser des changements climatiques induits par les activités humaines.  Son application, même lorsqu’il sera en vigueur, sera insuffisante pour offrir une solution adéquate à un problème dont la gravité et l’urgence sont encore largement sous-estimées.

Sophie Mayor
[03/10/2004]

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