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Compenser ses émissions, lutte contre le réchauffement ou arnaque à la bonne conscience?

Le marché de la compensation offre la possibilité, moyennant finance, de réduire toute ou partie des émissions de gaz à effet de serre, en impulsant l'argent versé par des particuliers ou des entreprises dans des projets environnementaux censés diminuer d'une partie équivalente lesdites émissions.
Le principe du marché de la compensation n'est pas mauvais en soi, il est juste de vouloir racheter ses erreurs et plus juste encore de s'inquiéter du patrimoine dont disposeront nos enfants.
C'est le "comment" qui est ici à remettre en question. Est-il juste de transformer les préjudices subis par des populations dans le besoin en cartes de visite de multinationales surfant sur la vague verte ?

Si la préoccupation peut être sincère dans certains cas de compensation, est-ce que la possibilité offerte aux entreprises d'acheter une "neutralité carbone" à relativement bas prix est une solution ? Notre propre besoin d'agir pour le climat peut-il être comblé par ce marché de la compensation ? C'est dans ce contexte de questionnement que NiceFuture a décidé de vous fournir des informations qui seront susceptibles de vous aider à forger votre propre opinion sur "la compensation".Nous avons interviewé pour vous François Turk qui s'est plongé dans l'étude de l'efficacité des systèmes de compensation.

Il existe aujourd'hui deux marchés, l'officiel régi par le protocole de Kyoto qui incite les Etats qui l'ont ratifié à compenser leurs émissions et à les réduire si possible, et l'autre qui s'adresse aux entreprises et aux particuliers qui sont soucieux de leur image ou inquiets pour l'avenir de la planète.

Nicefuture : François Turk, vous êtes l'auteur de cette étude explosive qui pose un regard critique sur l'efficacité de ce système. Quels sont les aspects qui vous semblent les plus à même d'être critiqués?

François Turk : L'additionnalité, c'est l’une des conditions de base de l'accréditation des projets. Ils ne doivent pas être réalisables sans les crédits de compensation. Pour vous donner un exemple, j'ai eu des contacts avec un membre de l'association Noé 21, une ONG qui est en charge entre autres de la vérification des projets de compensation dans le cadre du protocole de Kyoto. Ce contact s'est rendu sur le chantier d'un projet de géothermie au Guatemala qui avait été accepté et certifié par les outils de mesures des Nations Unies, et il a posé la question suivante « Sans le financement de la vente de crédits de compensation, ce projet aurait-il vu le jour? » La réponse qu'il a reçue est: « Oui, nous aurions pu trouver d’autres sources de financement à plus ou moins long terme. Si d’autres financements pouvaient assurer la réalisation de ce projet, il n'avait en aucun cas besoin des crédits de compensation pour voir le jour, ce qui signifie que ce projet ne compense rien vu qu'il aurait vu le jour avec ou sans les émissions à compenser. Le CO2 qu’il prétend réduire l'aurait été de toutes façons.

A mon point de vue, ce projet est bon, il permet au Guatemala de moins dépendre de ressources fossiles et de promouvoir les énergies renouvelables. Par contre, il ne compense en rien les émissions et permet donc à des entreprises européennes d'émettre plus que leur quotas ne le permettent, vu qu'elles ont payé pour un projet censé diminuer leurs émissions.
 

NF : On distingue différentes catégories de projets, de la foresterie à l'efficience énergétique. Quels sont les plus utilisés par les prestataires de compensation et pourquoi?

François Turk :  Dans le cadre du protocole de Kyoto les projets qui donnent lieu au plus grandes réductions prétendues sont ceux qui permettent de diminuer les gaz à fort potentiel de réchauffement comme les gaz coproduits de l’industrie des HFCs (gaz frigorigènes). La réduction d'une tonne de ces gaz industriels est équivalente à une réduction de 140 à 11'700 tonnes de CO2. Pour le SF6 diminuer une tonne est équivalent à - 23'900 tonnes de CO2. Il y a du coup énormément de projets de réduction de ces gaz qui bénéficient d’énormes quantités de crédits pour la mise en place de filtres à moindre coût.

Ces projets représentent les plus grosses diminutions en terme de crédits. En termes de nombre de projets, et sur le marché contrôlé par l’organisme en charge aux Nation Unies (l’UNFCCC), ce sont les énergies renouvelables qui sont les plus représentés.

NF : Quels genres de projets devraient être plébiscités selon vous dans le marché volontaire?

François Turk : Les projets certifiés par Gold Standard, une ONG appuyée par le WWF. Ces projets certifiés ont comme tous les prestataires de compensations une approche très centrée sur le business et visant peut-être le profit avant l'idéal mais cette certification les contraint à la démarche la plus rigoureuse. En Suisse My Climate et en Allemagne Atmosfair mènent à terme des projets touchant principalement les énergies renouvelables et l'efficience énergétique certifiées par Gold Standard.

NF: Les méthodes de calculs des réductions démontrent des différences énormes et n'intègrent pas l'énergie grise des réalisations. A votre avis, erreur de jeunesse ou volonté de simplifier la réalisation des projets ? 

François Turk : Il s'agit clairement d'une volonté de simplification. J'ai vu un projet de barrage sur lequel les matériaux de construction et l'acheminement sur le site avaient été pris en compte. Sinon cet impact n'est quasiment jamais pris en considération car la méthodologie se base sur des scénarios avec projet et sans projet. Si on implante des éoliennes, on ne prendra pas en compte l'énergie utilisée pour leur production, mais dans un scénario sans projet, on ne prend pas en compte non plus l'énergie utilisée pour la production de la centrale à charbon ou nucléaire. L'énergie grise ne représente qu'un faible pourcentage par rapport à l'utilisation d'un parc d'éoliennes. Il y a d'autres incertitudes de fond sur la méthodologie de calcul qui sont bien plus importantes que l'énergie grise, mais c'est un défaut de plus à améliorer.

NF: Comment fixe-t-on un tarif pour une tonne de CO2 ?

François Turk : Je pense que les compagnies de compensation fixent un tarif en fonction du marché volontaire, mais il n'y a aucune transparence sur les différents sites Internet que j'ai pu visiter sur ce sujet.

Sur le marché du protocole de Kyoto, il s'agit d'une bourse qui fluctue rapidement sur le même principe que les actions cotées en bourse.

NF: A votre avis un bilan carbone pour chaque produit et une taxe CO2 à l'achat pourrait être une solution?

François Turk : Non, cela me semble nécessiter des méthodologies de calcul encore plus complexes que celles qui existent pour les projets de compensation. Mais on pense toujours au CO2 alors qu'il n'apparaît qu'en fin de chaîne. Il serait plus facile techniquement de taxer à la source le pétrole, le gaz et le charbon.

NF : Et la dématérialisation ou vente de service, solutions à votre avis ?

François Turk : Des théories suggèrent que nous nous dirigeons vers une société de services qui, à la longue, va se dématérialiser et donc consommer moins d'énergie et moins de ressources. Pour ma part, je n'y crois pas du tout, on produit peut-être moins de matières chez nous et plus de services, mais tous les services génèrent la production de matières supplémentaires. Internet n'est pas immatériel, il faut des ordinateurs, de l'énergie, des serveurs, et l'augmentation du commerce sur la toile, c'est des camions qui vont livrer des biens matériels qui ne viendront plus d'ici mais seront produit en Asie. La production est délocalisée et cela nous donne l'impression d'une réduction de consommation. 

NF : Le projet d'Economie Suisse de compenser les émissions suisses, vous en avez entendu parler je suppose, vous en pensez quoi?

François Turk : C'est à mon point de vue ridicule. La compensation est un outil qui arrange bien l'économie mais n'a pour moi aucune efficacité pour la lutte contre les changements climatique. Il faut aussi encourager les réductions à l'étranger mais il ne faut pas que ces efforts de promotion des énergies propres ailleurs diminuent nos actions ici.

La compensation a cet effet pervers de reporter dans le temps et l'espace ce qui devrait être fait ici et maintenant. Les seuls effets positifs de la compensation sont les transferts de technologie, l'augmentation de la visibilité qui sont mis en avant par les énormes moyens financiers à disposition.

NF : Comment amélioreriez-vous ce concept ou par quoi le remplaceriez-vous?

François Turk : Il faudrait généraliser l’intégration de quotas de CO2 à un maximum de pays, et limiter les échanges de crédits à ces seuls pays à quotas. La circulation de crédits vides de réduction pour cause de défauts d’additionalité ou de méthodologies ne nuirait ainsi plus au système globalement, mais changerait uniquement la répartition des efforts de réduction à fournir par pays. 

NF: Merci François turk pour ces éclaircissements.

Eric Cabanes
[03/06/2008]



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