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Parole de chair

Il faut naître aveugle et sourd, mutilé, handicapé, cassé, diminué et amoindri pour réaliser la chance d’un corps intact, ce corps que la majorité connaît, ce corps facile, entier, qui fonctionne, répond aux commandes motrices, donne la possibilité de se mouvoir sans peine, de
réaliser le désir d’un geste. La banalité pour certains est pour d’autres l’inimaginable félicité.

Marcher. Parler. Entendre. Chanter.

Avoir une vie « normale ».

Il faut connaître la douleur, la mutilation, la menace tangible de la maladie, il faut connaître l’horreur et la violence, la cruauté de la déliquescence organique et des dérèglements physiologiques pour saisir à quel point ce qui constitue notre présence – cette tranquille manière d’être au monde : voir, goûter, toucher, regarder – ne nous est pas acquis, mais au contraire promet à tout instant de nous échapper et de nous laisser muet de terreur à l’idée d’avoir perdu ce que nous ne savions pas apprécier.

Il faut avoir perçu le lien intime entre ce que nous faisons, l’usage de notre vie, et ce que notre vie fut, est, et devient pour comprendre que nous sommes responsables de l’état des choses qui nous concernent. Premier éveil indispensable à l’hygiène curative d’un mal de vivre.

Savoir inutile qui exprime une certaine inutilité du savoir, car seule l’expérience concrète, sensible, affective, émotionnelle, venant fourrer dans la chair son glaive brûlant, glissant ses fluides acides à travers les membranes perméables des organes, brisant sans mesure l’harmonie de l’indolence humaine, seule la réalité d’une sensation parvient à mener l’être vers ce dont il a besoin, à lui faire entendre sa propre vérité.

Les idées ne suffisent pas à élancer nos motivations dans le flux de la réalité, elles ont besoin de nourriture charnelle, de tensions fibreuses, d’humeurs biliaires, de pulsions cardiaques, de dilatations pulmonaires, de sang. De prendre corps. Il ne s’agit donc pas de savoir qu’un certain nombre de choses vont mal, il s’agit de sentir qu’il en est ainsi. Il s’agit d’éveiller la conscience aux agressions que le corps subit, de se rendre sensible aux blessures infimes et quotidiennes qui nuisent à sa santé et aux fugitifs instants de bonheur.

Boris Dunand
[01/05/2004]



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