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Interview VIP : Laurent Geninasca

Rendez-vous avec Laurent Geninasca au bureau GD architectes. Occupant de vastes et lumineux locaux au sommet d'un immeuble à Neuchâtel, ce grenier de la créativité grouille d'idées en cours de réalisation, et pas des moindres. Epris de haute mer, de liberté et de beauté simple, Laurent Geninasca sait mener des projets d'envergure tout en gardant les pieds sur terre. Et pourtant, direz vous, il est justement en train de réaliser le nouveau stade de football de Neuchâtel à six mètres au dessus du sol, sorte de pelouse suspendue…

A. Questions personnelles

NiceFuture : Quel a été votre plus grand moment de bonheur cette année ?
Laurent Geninasca :
J'ai vécu un moment très fort en partant dix jour en voile sur la mer Egée, où nous avons passé d’une île à l’autre. Mes enfants étaient du voyage et, confinés sur un espace relativement restreint, au milieu de cette mer et de ces îles, nous avons vécu des moments intenses. Premièrement parce que nous étions confrontés aux éléments, avec des vents allant de 50 à 90 km/h. Notre skipper, qui pourtant avait connu des conditions bien plus extrêmes, était très attentif à tout ce qui se passait, il devinait ce que la mer était un ou deux kilomètres en avant, sentait son bateau, écoutait les bruits. Bref, ce travail et cette expérience au contact avec les choses simples, les éléments, les bruits, un peu d'odeurs, les lumières, constituaient une expérience émouvante. Sensation qu'on oublie souvent face aux situations dans lesquelles on se retrouve quotidiennement, dans un monde au fond très cérébral et virtuel.
Deuxièmement, ce qui m'a marqué, c'est qu'en passant ses journées et ses nuits à bord, toujours à une certaine distance de la terre ferme, on se fait une vision assez idyllique du monde. On se met à n'en voire plus que les beaux côtés, alors que la réalité est autre. Cette vision faussée rassure momentanément les terriens que nous sommes.

N.F. : Votre truc « bien-être/relaxation » que vous utilisez dans la vie de tous les jours ?
L.G.:
Je suis une personne stressée, angoissée en permanence, et seul l'exercice physique me permet de me détendre et d’oublier le quotidien. Je fais de la natation et là, c'est par immersion active, que j’échappe au monde et me relaxe. Mais je ne peux pas me détendre sans bouger, car mon esprit repart tout de suite quand je m'arrête!

N.F. : Un espace, un lieu qui évoque pour vous l’harmonie, un havre de plaisir ?
L.G. :
Le bateau en serait un…

N.F. : Et sur la terre ferme?
L.G.:
En fait, il n'y pas de lieu en tant que tel où je me sens vraiment bien, tant que je n'agis pas ou ne dors pas. Pour trouver un équilibre par rapport à une sorte de fébrilité mentale, il me reste deux alternatives : l’exercice physique ou le sommeil.

N.F. : Un objet que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
L.G. :
Je n'ai pas de relations obsessionnelles face aux objets, même si j'aime les belles choses et que, quand j'achète du mobilier, une voiture ou une montre, bref quand je consomme, j'ai le réel souci esthétique de « l’architecte ».
Je suis convaincu, en revanche, que le rapport aux personnes, au vivant, compte plus que le rapport aux choses. Ce qui est plus important, c'est la transmission de ce que l’on est plutôt que la transmission de ce que l'on a. Par contre je peux parfaitement m'attacher à un objet sans valeur comme le petit porte-mine en plastique qui est accroché à mon agenda et qui est celui que j'utilise tous les jours. Là si je le perds, je suis triste !

N.F. : Une valeur que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
L.G. :
Il y a une valeur à laquelle je crois profondément, c'est la notion de liberté. Que ce soit en termes de pensée ou d’action, il est existentiel pour moi de pouvoir rester indépendant. Même s’il est aussi évident que nous n’échappons jamais complètement au contexte dans lequel on vit, il faut pouvoir trouver ses marques à soi. Ce que j'aimerais peut-être pouvoir leur inculquer le plus, c'est cette capacité d'être qui ils sont.

N.F. : Dans votre quotidien, quelles sont les attitudes "NiceFuture" qui vous motivent ? (manger bio, achats de proximité, déplacements, bien-être, jardinage, équité sociale, placements éthiques, etc... tout ce qui a un rapport de près ou de loin au développement durable)
L.G. :
Ma femme, qui est zurichoise, a une sensibilité écologique assez développée. Les suisses allemands de manière générale sont plus sensibles et peut-être moins égoïstes que les latins. Son regard m’a poussé à mieux me soucier de ma manière de fonctionner. Même si je reste un consommateur gourmand, j’ai conscience que consommer n'est pas un acte innocent. Le choix que nous avons fait en habitant au centre ville est du point de vue NiceFuture un choix responsable. En effet, notre famille de cinq personnes peut se satisfaire d'une seule voiture : le lieu de travail, les activités annexes des enfants et les achats pouvant se faire à pied. S’établir dans un joli quartier de villas périphérique ne permettrait pas de vivre de cette façon.

N.F. : Comment faites-vous vos choix dans le domaine des loisirs et des voyages par exemple?
L. G.:
Il n’y a pas d’à priori, les choix s’imposent en fonction des opportunités qui se présentent et de l’envie de vivre des choses différenciées d’une année à l’autre, d’une saison à l’autre, entre culture, détente et sport. Cette recherche de plaisirs variés n’est cependant pas innocente en termes de consommation et donc d’impact sur l’environnement. Je me rends compte que même si, à posteriori, nous nous posons souvent la question de savoir si partir skier le week-end ou voyager dans des contrées lointaines ne participe pas d’une forme de consommation stérile, il est rare que nous y renoncions pour cette même raison.

N.F. : Anticipez le monde de demain : vous le voyez comment ? Ce sera un monde plus égoïste ? Plus ouvert sur les autres ? Plus au moins éthique ? Pourquoi cette vision ?
L.G. :
Bon, je suis d'un naturel assez optimiste. Même si j'ai l'impression que l'homme a toujours agi de manière égoïste et qu’il a toujours eu de la peine à anticiper et à prévenir, il a aussi toujours été capable de rebondir quand les choses allaient trop loin. On se rend compte par exemple aujourd’hui que la prise de conscience environnementale existe aux Etats-Unis et même dans les pays comme la Chine ou l'Inde. La question est maintenant de savoir à quelle vitesse et à quel moment ces pays et les autres passeront réellement aux actes afin de prévenir et de ne pas devoir trop guérir.

N.F. : Comment le monde de l'architecture réagit-il aux prises de conscience qui traversent notre société et comment le développement durable est-il interprété dans votre équipe?
L.G.:
Si on prend la notion de développement durable, il est important à travers le métier d’architecte de ne pas privilégier une des trois dimensions -environnementale, sociale ou économique- au détriment des autres. Une architecture intelligente ne peut de toute façon pas négliger l'un ou l'autre de ces aspects. Des modèles extraordinaires de construction durable existent en architecture vernaculaire. A l’époque, l’absence de moyens économiques conduisait à bien mesurer l’effort à fournir et donc concourrait à tirer efficacement profit des conditions environnantes et à mettre en œuvre intelligemment les matériaux à disposition. Aujourd'hui, les moyens techniques et économiques faussent la donne, même si la préoccupation environnementale est de plus en plus présente. Dans ce contexte, nous essayons à notre manière, au cas par cas d’agir de manière responsable face à la question qui nous est posée et en fonction des exigences du maître de l'ouvrage, sans forcément appliquer des recettes toutes faites, type Minergie.

Les problèmes d’aujourd’hui ne sont plus les problèmes de demain. Par exemple, la question de l'isolation thermique et de la production de chaleur, perd aujourd'hui de l'importance grâce aux moyens et aux matériaux dont on dispose, en revanche celui de la consommation d'électricité est de plus en plus aigu.

N.F.: A propos de consommation d'énergie, le futur stade de football de Neuchâtel a été conçu ici, dans ce bureau. Parlez nous de cet exemple.
L. G.:
En effet, c'est un exemple intéressant. En fait il s'agit d'un complexe multifonctionnel, comportant un centre commercial au dessus duquel se trouve le stade, un centre d’intervention et de secours, six salles de gymnastiques et un parking de plus de 900 places. Alors pourquoi un tel projet est-il écologique? Premièrement, d'implanter au centre ville à proximité de la gare un complexe de cette importance permet de réduire les trajets en transport privé, de favoriser le recours aux transports publics ou même l’accès à pied. Deuxièmement, de construire en densifiant de cette manière permet d’exploiter au mieux ce site déjà construit et les infrastructures alentour.

Si l’on se place du point de vue de la consommation d’énergie, ce projet de par sa configuration ne pose aucun problème d'apport calorifique, mais plutôt de refroidissement. A titre d’exemple, il ne consomme qu’une fois et demi la quantité d'énergie nécessaire aux trois quatre bâtiments qui existaient là avant. En revanche, la consommation électrique du centre commercial pour l’éclairage et la réfrigération est très importante et n'a rien d'écologique.

Si les constructeurs de supermarchés n'ont pas encore vraiment pris en compte le paramètre de l'énergie et de l'électricité en particulier, les maîtres d’ouvrage de réalisations privées en sont de plus en plus conscients. En effet, on rencontre de plus en plus de gens qui ont un réel souci environnemental et qui s’intéressent aux différentes possibilités de se rendre autonomes par rapport aux énergies fossiles.

N.F. : Vous avez également construit ou transformé plusieurs écoles. Est-ce que l'architecture est aussi un moyen d'exprimer notre façon d'aborder le monde, de gérer des ressources, etc. aux générations qui nous suivent?
L. G.:
Pour nous, oui. Nous avons en effet toujours la préoccupation de produire une architecture à même de créer le plus d'émotions et de sensations avec le moins de moyens possibles. Dans une société toujours plus complexe et cérébrale, nous essayons d'offrir des espaces, des cadrages, des matières qui vous permettent de vous retrouver dans un monde calme et paisible dans lequel vous vous sentez en équilibre avec votre environnement.
En revanche, les architectures redondantes, compliquées, prétentieuses vont à l'encontre de la notion de développement durable.


N.F. :  A propos des matières justement, quelles sont celles que vous privilégiez?
L. G.:
Il n’y a pas d’à priori favorable aux matières naturelles par opposition aux matières artificielles, cela dépend toujours de l'effet recherché. Nous cherchons cependant à être cohérent par rapport à la réponse que nous voulons transmettre. Une matière artificielle peut évoquer une idée particulière, offrir un contraste intéressant dans un milieu naturel, par exemple. Chaque choix donne un sens particulier qu’il faut à chaque fois bien peser.

Propos recueillis par Nicola Daenzer

[20/12/2005]

Liens externes
Bureau d'architecture de L. Geninasca


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