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Interview VIP : Pierre Lamunière

Président du premier groupe de presse de Romandie, Pierre Lamunière, a à la fois développé de nouveaux journaux en Suisse et donné une véritable dimension internationale au groupe Edipresse en rayonnant à l'étranger.
Le rendez-vous pour cette interview avait été pris au dernier étage du bâtiment Edipresse à Lausanne. La vue panoramique qui s’offre au regard reflète parfaitement les vastes visions de cet homme de lettre. Pierre Lamunière est incontestablement une personne de goût, extrêmement cultivée, offrant un regard aiguisé, intelligent et ouvert sur notre société et ses enjeux. Edipresse, de par sa puissance économique et éditoriale, est l'une des sociétés suisses les plus ouvertes sur le monde. Son président, lui, cultive le difficile art de l’équilibre entre les cultures et les excès, conjuguant le yin et le yang avec sérénité.

A.     Questions personnelles
 

NiceFuture :  Quel a été votre plus grand moment de bonheur cette année ?
Pierre Lamunière :
Les moments de bonheur que l’on peut ressentir sont de nature extrêmement différente. Comment comparer la signature d’un bon contrat et la contemplation d’un superbe paysage ? De nature positive, je vis beaucoup de moments de bonheur. Il m’est difficile de répondre à la question car je vis dans le moment présent et le passé m’intéresse peu.

N.F. : Votre truc « bien-être/relaxation » que vous utilisez dans la vie de tous les jours ?
P.L. :
J’essaie de faire du sport, ce qui est évidemment très relaxant. J’aime aussi le contact avec la nature. Mais c’est peut-être surtout la lecture qui est pour moi le moyen d’évasion principal, une façon de pénétrer dans des mondes différents !

N.F. : Un espace, un lieu qui évoque pour vous l’harmonie, un havre de plaisir ?
P.L. :
J’ai une propriété en Espagne qui abrite de superbes oliviers et orangers. J’aime les beaux jardins ou ces propriétés agricoles bien organisées que l’on trouve par exemple en Andalousie. La nature maîtrisée me plaît beaucoup.

N.F. : Un objet que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
P.L. :
Ce sont les livres. Pas l’objet en tant que tel mais la richesse inouïe de leur contenu. Je ne suis pas un bibliophile, amateur de livres de première édition ou d’encyclopédies qu’on lit tous les dix ans. Non, ce que j’aime ce sont les livres qui ont été lus, qui ont été utilisés, qui sont usés. Ce sont les vrais livres !

N.F. : Une valeur que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
P.L. :
Il y en a beaucoup mais je crois que si je devais en distinguer une parmi d’autres ce serait la curiosité. Elle sous-entend l’ouverture d’esprit, ne pas se laisser embrigader par des idées reçues, par des schémas de pensée prédigérés. C’est fondamental d’être curieux, de s’interroger sur les théories que l’on essaie de vous imposer et de vérifier si elles correspondent à la réalité, à ce que vous croyez.

N.F. :  Dans votre quotidien, quelles sont les attitudes "NiceFuture" qui vous motivent ? (manger bio, achats de proximité, déplacements, bien-être, jardinage, équité sociale, placements éthiques, etc... tout ce qui a un rapport de près ou de loin au développement durable)
P. L. :
Je suis très sensible à la nature sans être un ayatollah de la consommation écolo. Je ne suis par exemple pas un adepte de la macrobiotique mais je n’ai jamais possédé une grosse voiture. J’aime beaucoup les jardins et j’ai un grand respect de la nature. Ce que je n’aime pas dans les débats touchant l’environnement, ce sont les arguments de nature quasi religieux défendus par les écologistes. Si l’on observe la nature on s’aperçoit qu’elle est beaucoup plus implacable que nous. Le raisonnement défendu qui affirme que la nature est bonne et que l’homme est cruel me semble particulièrement naïf. L’homme, tout en étant très imparfait, est infiniment moins cruel que la nature.
Je suis par contre très sensible à certains thèmes écologiques comme l’épuisement des ressources ou la dégradation esthétique des paysages due à l’urbanisme sauvage.

N.F. : Consom’action, c’est une vision à laquelle vous adhérez ?
P.L. :
Oui, j’y adhère mais dans certaines limites. Quand vous êtes producteur, vous devez trouver des consommateurs prêts à payer un prix supérieur pour des biens respectant le développement durable, ce qui est loin d’être toujours le cas.
Je crois par contre à l’importance des valeurs éthiques dans une entreprise qui comprend la prise en compte des attentes du consommateur. Les entreprises qui ne placent pas l’éthique au centre de leurs préoccupations sont vouées un jour ou l’autre à être confrontées à de graves problèmes. Les valeurs éthiques sont d’ailleurs très fédératrices dans une entreprise. Par exemple, les entreprises actives dans l’industrie du tabac doivent développer un grand nombre d’activités à caractère social pour motiver un personnel qui a de grandes difficultés à s’identifier avec la finalité du produit.
L’éthique n’est la plupart du temps pas en contradiction avec l’économie contrairement aux idées reçues.

N.F. :  Anticipez le monde de demain : vous le voyez comment ? Ce sera un monde plus égoïste ? Plus ouvert sur les autres ? Plus au moins éthique ? Pourquoi cette vision ?
P.L. :
Il est très difficile de faire une telle projection car l’histoire produit toujours des remises à zéro imprévues. Par exemple avec une guerre. Je pense néanmoins que l’on s’achemine vers une société plus tribale, privée de valeurs fédératrices. La politique ou la religion ne fédèrent plus : chacun grappille un peu de bouddhisme, un peu de yoga, de multiples activités de recherche personnelle. Notre société se sectorise de plus en plus, même à l’école vous devez choisir aujourd’hui entre la géographie et l’histoire. Par contre, il y aura certainement des retours de balancier, de nouvelles valeurs vont donc émerger.

N.F. :  L’année 2005, une année faste pour vous ?
P.L. :
C’était une année dans la bonne moyenne, ni plus ni moins, mais dans l’ensemble elle s’est bien passée.


 
B. Questions globales

N.F. :  Quel est l’événement marquant dans le monde qui vous a touché cette année ?
P.L. :
Il y en a beaucoup mais plus particulièrement le tsunami car j’étais sur la côte indienne à ce moment-là. C’est aussi un constat, comme je vous l’évoquais toute à l’heure, de la dureté de la nature. Cela montre les limites naïves et romantiques de certains de ses adorateurs. Il faut la respecter mais aussi la maîtriser.
L’autre événement qui me touche est l’évolution rapide de la moitié de la planète soit la Chine et l’Inde. C’est une population incroyablement nombreuse qui entre dans le monde de la consommation. L’écologie est un souci de sociétés «  primitives » ou très avancé. Entre deux, il n’y a pas de sensibilité à son sujet. En Inde ou en Chine, la pollution est effroyable. Et il n’y a ni les moyens ni la volonté de résoudre ce problème. De plus, il faut prévoir une lutte extrêmement grave des différentes puissances pour avoir accès aux matières premières et pas seulement pour le pétrole. La Chine absorbe déjà la moitié des métaux dans le monde et ce n’est que le début !
Si nous ne développons pas beaucoup plus la recherche et l’innovation, nous courrons un vrai risque. Observez la rapidité du développement chinois et indien et la violence de la concurrence au niveau mondial ainsi générée, et vous pourrez vous rendre compte des changements qui nous attendent. Aujourd’hui déjà 70% du « non food » vendu dans les grandes surfaces américaines est produit en Chine. Sans oublier que ces pays émergeants sont en train de devenir extrêmement brillants en recherche, ce qui était jusqu’alors notre domaine d’excellence. Il y a déjà 300 millions de Chinois qui sont anglophones soit autant que les Nords-Américains. Dans la recherche et les biotechnologies, où ils ont moins de barrières éthiques que nous, ils vont très vite nous dépasser. Il y a un vrai risque si on ne s’engage à fonds dans des programmes de recherche et de développement. Et il faut que l’on soit efficace, quitte à ne pas poursuivre certaines activités vouées à moyen terme à l’échec comme l’industrie textile afin de mettre toutes nos forces dans les secteurs les plus prometteurs.

N.F. : Qu’est-ce qui vous révolte dans le monde d’aujourd’hui ? qu’est-ce qui vous enchante ?
P.L. :
Ce qui me révolte le plus c’est la bêtise. Elle peut s’exprimer partout, dans n’importe quel pays, prendre une multitude de formes et elle est vraiment terrifiante. Elle est très préoccupante quand elle prend la forme d’une pensée potentiellement totalitaire qu’elle soit religieuse ou politique.

Du côté positif, la vie est belle, il y a des gens et des idées formidables. On vit quand même mieux qu’avant sur une plus grande partie de la planète. Les gens qui ont une vision trop idéaliste du passé se trompent. Ils constatent que ce qui s’est dégradé et ne voient pas les énormes progrès réalisés. On a aujourd’hui accès à l’information, à la formation, à la santé dans une majorité de pays. Il y a un prolongement de la vie, une augmentation du niveau de vie au niveau mondial, il n’y a pas de conflit majeur généralisé.

N.F. : Quelle serait l’innovation (technologique, de comportement, légale....) qui changerait la face de nos sociétés à votre avis ?
P.L. :
Les progrès seront aussi inouïs dans la biotechnologie et la médecine. Il est difficile d’apprécier les conséquences de ces évolutions.
Pour une personne atteinte du cancer, ces découvertes sont naturellement géniales, mais du point de vue global, la société, sera-t-elle plus heureuse ?
En prolongeant de manière très marquée la durée de la vie, comment trouverons-nous des solutions aux problèmes liés à la surpopulation et à l’épuisement des ressources.

N.F. : Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous pour mettre en place « un monde meilleur » ?
P.L. :
En ce moment c’est internet qui est l’innovation la plus marquante au niveau du changement de comportement.
Je crois que je casserais la baguette magique parce que les mondes parfaits sont mortellement ennuyeux. Tout ce qui est excessif dans la vie trouve dans la nature son antidote. Lorsque l’on aura supprimé toutes les maladies, comment gérera-t-on la surpopulation, le travail, les retraites ? J’ai une vision un peu bouddhiste de la vie et je pense qu’il faut essayer en tout de trouver le juste milieu.

N.F. : Que souhaitez-vous en 2006 ? pour vous ? pour vos proches ? pour le monde ?
P.L. :
Pour 2006, je souhaite simplement le meilleur pour les gens qui m’entourent.

N.F. : Quelle est votre bonne résolution pour 2006, si vous en avez une ?
P.L. :
J'ai tout le temps des bonnes résolutions, il faudrait juste arriver à les mettre en pratique.
J’aimerais consommer uniquement du café Max Havelaar, mais j’aime trop le Nespresso qui n’est pas un exemple d’écologie. (ndlr : Nespresso, dans un communiqué de presse, vient d’annoncer la sortie d’une nouvelle capsule commerce équitable et nous nous réjouissons de déguster notre prochain café chez Edipresse).

Propos recueillis par Barbara Steudler

[20/12/2005]



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