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Interview VIP : Ueli Brauen

Rendez-vous avec Ueli Brauen dans son lumineux bureau d’architecture surplombant le quartier bouillonnant du Flon à Lausanne. L’espace est serein, accueillant, ordré. Amoureux de la nature, l’esprit contemplateur, Ueli Brauen n’en demeure pas moins un véritable citoyen du monde aux idées larges et généreuses. A découvrir à travers cet interview : une vision humaniste et un engagement visionnaire qui est largement reconnu dans et au-dehors de nos frontières.

A.     Questions personnelles
 

NiceFuture :  Quel a été votre plus grand moment de bonheur cette année ?
Ueli Brauen : Une magnifique journée de cet été indien à bord de mon voilier sur le lac m’a beaucoup marqué. Une lumière magnifique m’a donné le sentiment que le monde était bien en ordre !

N.F. : Votre truc « bien-être/relaxation » que vous utilisez dans la vie de tous les jours ?
U. B. :
Nous avons une très jolie maison dans une région exceptionnelle : elle se trouve à côté de la réserve des Grangettes, en pleine nature, entourée de champs et de forêts, avec au loin les montagnes.
Ma profession est tellement stressante que même en y retournant pour quelques heures le soir, cela reste pour moi un moment privilégié. Du coup je ne vais même plus au cinéma !

N.F. : Un espace, un lieu qui évoque pour vous l’harmonie, un havre de plaisir ?
U. B. :
Le bassin lémanique. C’est une région exceptionnelle ! A chaque fois que nous revenons de vacances avec ma femme, nous sommes stupéfaits devant la beauté de cette région.

N.F. : Un objet que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
U. B. :
Nous n’avons pas d’enfant, mais à travers l’art de l’architecture, j’essaie de transmettre une qualité d’espace, de vie. Nous venons de réaliser une garderie à la Cité à Lausanne, derrière la cathédrale, et apparemment les enfants s’y sentent bien. J’apprécie l’idée que plusieurs générations d’enfants vont s’y épanouir durant les prochaines années.

N.F. : Une valeur que vous aimeriez transmettre à vos enfants ?
U. B. :
A travers l’enseignement, nous communiquons nos idées dans différentes écoles d’architecture en Europe et aux Etats-Unis. Nous essayons de transmettre deux messages : l’importance de conserver les valeurs acquises de l’histoire et de conserver ce qui a de la valeur et, en même temps, le courage d’aborder le futur et d’innover. Souvent ce discours est en conflit avec des « Neinsager » qui ont une attitude craintive envers l’avenir car ils pensent perdre pied s’ils se tournent vers le futur. Ce qui n’est pas vrai car tout bouge dans le monde et c’est en restant statique que l’on régresse.
Une autre valeur qui me semble très importante et que j’essaie de transmettre, c’est la curiosité : rester tout le temps curieux, garder l’esprit vif et ne rien prendre dans ce monde pour définitivement établi.

N.F. :  Dans votre quotidien, quelles sont les attitudes "NiceFuture" qui vous motivent ? (manger bio, achats de proximité, déplacements, bien-être, jardinage, équité sociale, placements éthiques, etc... tout ce qui a un rapport de près ou de loin au développement durable)
U. B. :
J’ai l’habitude d’éteindre la lumière, c’est un réflexe que j’ai acquis quand j’étais enfant. C’est un geste qui ne demande aucun effort, et malgré cette simplicité, cela reste une action primordiale très efficace.

N.F. : Consom’action, c’est une vision à laquelle vous adhérez ?
U. B. :
Oui, d’autant plus que nous attendons de nos clients qu’ils fassent les mêmes choix. Dans nos prestations nous sommes souvent plus chers que nos confrères. Mais le produit que nous offrons, c’est à dire notre architecture, est, dans son utilisation, économique. Nous proposons aussi dans notre travail et nos réalisations une véritable réflexion de développement durable.

N.F. :  Anticipez le monde de demain : vous le voyez comment ? Ce sera un monde plus égoïste ? Plus ouvert sur les autres ? Plus au moins éthique ? Pourquoi cette vision ?
U. B. :
Ce qui me touche en ce moment c’est le débat autour du climat, qui est un des enjeux déterminant de notre futur. On est obligé, en tant qu’architecte, d’anticiper et de réfléchir sur le développement du monde. Par exemple, au niveau de l’énergie, il faut qu’il y ait un changement radical dans nos choix. Notre société n’est pas encore vraiment consciente qu’au niveau des taux d’émission de C02 on est déjà au-delà de ce qui est soutenable. Vous rendez-vous compte que si, aujourd’hui, on arrivait à limiter à 10% notre pollution, dans cent ans la température augmenterait tout de même de 2 degrés ?
Des alternatives comme l’hydrogène me paraissent très prometteuses. Facile à produire à partir de l’eau, on pourra dans l’avenir faire fonctionner les voitures, maisons, bateaux sans la moindre pollution pour un prix équivalent à ce que l’on paie aujourd’hui.
Je trouve par contre déplorable qu’en Suisse, personne ne se préoccupe sérieusement de cette situation, ni n’est efficace. En effet, il faut être conscient que la première ressource que nous avons est l’argent. Et aujourd’hui que fait-on? Une centrale photovoltaïque à Genève et une autre à Berne. Il semble que personne ne soit conscient qu’il faut dix à douze ans avant que cette énergie soit rentable uniquement sur le plan énergétique, c’est à dire avant que toute l’énergie produite corresponde à celle qui a été nécessaire à la conception de cette centrale solaire sur le plan de la fabrication. Il y a des systèmes qui sont beaucoup plus performants, comme les éoliennes par exemple, et qui ont une efficacité beaucoup plus grande ; mais elles ne seraient peut-être pas situées en Suisse. Il faut qu’il y ait vraiment une réflexion globale sur l’énergie et il convient de produire l’énergie là où c’est "rentable". En Suisse, on se comporte comme s’il y avait un trou d’ozone uniquement au-dessus de notre pays. Il est adéquat dans ce pays de produire de l’énergie hydroélectrique car nous avons la structure géographique appropriée. Par contre la construction de centrales solaires ou d’éoliennes est ridicule. En Europe, on fait figure de premier de classe parce qu’on met beaucoup d’argent là-dedans, mais c’est aussi quelque part ridicule ! Si cet argent était investi de la manière la plus rentable (peut-être avec des centrales solaires en Afrique ou des éoliennes dans les mers du Nord), nous obtiendrions des résultats incomparables et de ce fait, nous paierions cette énergie propre à un prix plus accessible, car le prix en Suisse est évidemment beaucoup trop élevé ! Cet argent investit devrait être optimisé dans une réflexion globale entre les pays pour prendre les choix les plus adéquats, si on veut vraiment faire avancer les énergies renouvelables. Le problème est que les décisions dépendent souvent de la politique, et qu’elles sont prises dans l’objectif de promouvoir une belle image.
C’est beaucoup plus honorifique d’avoir une centrale à Genève et de pouvoir s’en vanter que de mettre en place une structure dans un pays lointain…

N.F. :  L’année 2005, une année faste pour vous ?
U. B. :
Oui c’était une belle année avec des succès professionnels, des concours remportés et une très belle exposition à Zürich. 


B. Questions globales

N.F. :  Quel est l’événement marquant dans le monde qui vous a touché cette année ?
U. B. :
Une très forte tempête s’est produite proche de notre maison le 19 juillet. La forêt qui entoure notre propriété a été détruite. Un petit miracle s’est produit lors de cet événement, notre verger a été préservé alors que des maisons des alentours avaient perdu leur toit. Au niveau mondial, j’ai été marqué par l’ouragan Katrina.

N.F. : Qu’est-ce qui vous révolte dans le monde d’aujourd’hui ? qu’est-ce qui vous enchante ?
U. B. :
La façon dont on aborde la réflexion autour des centrales nucléaires me révolte. En effet, si vous demandez à un mathématicien, un physicien, un statisticien quelle est la sûreté d’une installation, tous vous répondent que de manière générale les centrales sont bien conçues mais vous assurent que l’on ne peut pas assurer la sécurité absolue. Ce qui signifie que dans un certain laps de temps une catastrophe va assurément se produire. La question n’est pas de savoir comment assurer une sécurité absolue mais de savoir quand un drame peut se produire. Si une centrale nucléaire explose, cela représente des centaines de fois les effets dévastateurs de Katrina ; un immense territoire devient alors inhabitable pendant des milliers d'années. On nous assure que les centrales sont assurées mais c’est une erreur car si elles l’étaient vraiment, au juste prix, le courant serait exorbitant. Cela signifie aussi qu’en prenant ce facteur en compte, l’hydrogène est finalement très rentable.
Un autre problème révoltant est qu’en fonction du contexte actuel et de la problématique du climat un grand nombre d’acteurs s’installent mais ce sont plutôt des charlatans. Il est difficile de contester ces personnes d’une manière politiquement correcte… On ne peut pas être contre le développement durable.
Par exemple, il faut être conscient que « Minergie » est une invention de quelques ingénieurs. Ils imposent le type de matériaux et d’innovations qu’il faut utiliser pour atteindre le standard Minergie. Cette procédure est tout à fait fausse. Ce ne sont pas les moyens qui doivent être imposés et employés mais c’est la finalité, c’est à dire l’objectif à atteindre.
Et si je suis contre Minergie on va me répondre que je suis contre le développement durable, ce qui n’a rien à voir et qui est évidemment faux ! Heureusement quelques communes commencent à remettre en cause cette façon de faire. Par exemple, le standard Minergie impose un important travail sur la ventilation. Si vous gardez un regard critique et calculez à combien vous revient le kilowattheure, cette procédure se révèle beaucoup trop coûteuse. Je pense qu’ en dessus de 20 centimes le kilowattheure l’investissement est proche du gaspillage. Ces moyens financiers peuvent être optimisés autrement, par exemple sur l’isolation. Il faut vraiment rester vigilant et rechercher les solutions optimales sans dictats et solutions toutes faites.

N.F. : Quelle serait l’innovation (technologique, de comportement, légale....) qui changerait la face de nos sociétés à votre avis ?
U. B. :
Comme je l’ai déjà évoqué précédemment, je pense qu’il faudrait arriver à entreprendre une réflexion globale sur l’énergie au niveau mondial. Je pense que l’OMM (Organisation Mondiale de la Météorologie) devrait s’en occuper.

N.F. : Si vous aviez une baguette magique, que feriez-vous pour mettre en place « un monde meilleur » ?
U. B. :
J’enlèverais les bulles d’air dans les radiateurs (ndlr : durant l’interview un chauffagiste est venu réparer ceux-ci, qui faisaient de grands bruits fort gênants). Ce que je veux dire par là, c’est que je trouve extrêmement dangereux d’agir sur les équilibres du monde car on ne sait pas comment la planète se rééquilibrera. Evidemment que ce serait merveilleux si nous arrivions à résoudre le problème logistique pour donner à chacun sur cette planète la nourriture nécessaire à sa journée.

N.F. : Que souhaitez-vous en 2006 ? pour vous ? pour vos proches ? pour le monde ?
U. B. :
Progresser dans la compréhension du monde c’est à dire comprendre comment les choses fonctionnent pour pouvoir les améliorer et intervenir au bon moment au bon endroit de manière intelligente. Dans chaque système il faut d’abord comprendre ses rouages pour pouvoir agir de manière juste, autrement cela ne sert à rien, et cela peut même s’avérer néfaste.

N.F. : Quelle est votre bonne résolution pour 2006, si vous en avez une ?
U. B. :
D’aller droit au but. J’ai des petits et des grands projets et j’espère pouvoir avoir l’énergie pour les réaliser.

Propos receuillis par Barbara Steudler et Vincent Girardin

[20/12/2005]

Liens externes
Bureau de Ueli Brauen & Doris Wälchli


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