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NiceFuture > Sources et ressources Le réchauffement climatique en Suisse : interview de Martin BenistonL’été dernier, qui restera gravé dans les mémoires, a donné une réalité plus palpable au réchauffement climatique. On le découvre mais on le connaît mal encore... Du « y’a plus de saison » au « sauvons les forêts d’Amazonie », toutes les générations se rejoignent dans l’inquiétude sur l’avenir de la planète. L’été dernier, qui restera gravé dans les mémoires, a donnée une réalité plus palpable au réchauffement climatique. On le découvre mais on le connaît mal encore. Que peut on craindre pour la Suisse ? Qu’est-ce qui va changer dans notre vie ?
Martin Beniston : C’est un pays auquel je suis attaché depuis l’enfance. En terme de recherche, les moyens mis à disposition, malgré une conjoncture de plus en plus difficile, sont encore excellents par rapport à ce que j’ai connu ailleurs. Les formations universitaires sont également excellentes et produisent de jeunes chercheurs compétents. Quant à mes sujets de recherche, je travaille actuellement sur la modélisation d’événements climatiques extrêmes dans l’optique d’estimer les impacts potentiels du réchauffement sur l’économie suisse. NF : Doit-on en déduire que le réchauffement climatique n’est pas qu’une extrapolation écologiste comme on l’entend encore, mais une réalité scientifique ? M. B. : Il y a un réchauffement et il est mesurable, que cela soit par mesures au sol ou par satellites. C’est un fait. Quant à la cause du réchauffement, c’est là que l’on entre dans le vif du débat. Le système étant plus que complexe, il y a énormément de causes possibles. La majorité des scientifiques pense que les gaz à effets de serre, émis par les activités humaines, perturbent le système climatique. Mais quelle est la part exacte imputable à l’homme ? Des études anglaises récentes montrent que l’on peut estimer à 50% la part de l’homme au réchauffement. On ne peut donc pas nier sa responsabilité. NF : Penchons-nous sur les modifications durables provoquées par le réchauffement climatique en Suisse. D’abord bien sûr, la température... M. B. : Assez simplement, on prévoit une augmentation moyenne de la température pour la fin du siècle de 4°C. On s’acheminera vers un climat type méditerranéen avec des étés longs et secs (+ 6° en été) avec des canicules à l’image de l’été dernier et des hivers plus doux (+3°C). NF : Doit-on attendre des répercussions sur la végétation ? A quand la garrigue en Suisse ? M. B. : La végétation met beaucoup plus de temps pour s’adapter; un siècle ou plus. Est-ce que les espèces méditerranéennes vont migrer ? Les espèces locales vont-elles s’adapter ? Globalement, on voit une remontée des climats de l’ordre de 400 à 500 km vers le Nord. La Provence pourrait devenir l’Andalousie actuelle et la Suisse romande, la Provence d’aujourd’hui. Sans pour autant que la végétation suive aussi vite cette tendance. NF : Les glaciers, la neige, sont aussi susceptibles d’être fortement perturbés par ce changement de température. Pourra t-on toujours faire du ski à la fin du siècle ? M. B. : Le recul des glaciers est dès aujourd’hui visible mais il s’accélérera avec le réchauffement selon les variables géographiques locales. C’est un capital d’eau mais aussi un capital esthétique et culturel. C’est tout le paysage alpin qui est en danger. Quant à nos stations de ski, elles resteront tout de même praticables, même si le niveau de la neige va monter assez haut, certaines stations dans le Valais ou dans Les Grisons pourront continuer à fonctionner. D’autant plus qu’elle pourront certainement acheminer par télécabine les gens plus haut sur les pistes. D’un autre coté, il faut voir aussi que même dans un climat plus chaud, il peut très bien y avoir en hiver des périodes de neiges abondantes, assurant encore les Suisses de pouvoir skier pendant des années et des années. NF : Enfin une bonne nouvelle ! Intéressons nous maintenant aux événements climatiques extrêmes comme la tempête Lothar (1999) ou la canicule de l’été 2003. M. B. : Des études suisses ont montré récemment que si la température moyenne augmente, la variabilité augmente aussi, c'est-à-dire que les extrêmes de température, à l’image de la canicule de l’année dernière, seront plus forts. Mais il existe d’autres types d’extrêmes : précipitations extrêmes, tempêtes, glissements de terrain, etc... Dans ce cas-là, la relation avec le réchauffement climatique est plus subtile. La difficulté réside dans le fait que nous essayons de mettre en relation des événements rares, ponctuels, avec un réchauffement progressif sur une toute autre échelle de temps. NF : Intuitivement aussi, en pensant « réchauffement climatique », on pense surtout à une augmentation des canicules et non des pluies !? M. B. : L’année 2002 était une des années les plus chaudes jamais mesurées alors que c’était une année extrêmement pluvieuse avec de terribles inondations en Europe Centrale. 2003 a été une année légèrement moins chaude mais avec une canicule extraordinaire. Cela peut basculer dans les deux sens, soit des étés chauds et secs soit des étés chauds et pluvieux. Les paramètres impliqués sont extrêmement variés et dépassent le cadre local de la Suisse. Dans le cas de la canicule de 2003, cela viendrait d’une accentuation de la mousson d’Afrique occidentale qui a repoussé l’anticyclone des Açores vers l’Europe, entraînant une persistance des vagues de chaleur. Même si la Suisse est un petit pays à l’échelle climatique, les Alpes représentent un véritable déclencheur de précipitations. NF : Terminons sur votre vision personnelle du péril du réchauffement climatique. En tant qu’être humain, quel regard portez-vous sur la capacité de l’Homme, des sociétés humaines, à résoudre ce problème qui deviendra sûrement un des problèmes majeurs des siècles à venir ? Pessimiste ou optimiste ? M. B. : Je suis totalement pessimiste à ce niveau là, surtout sur la capacité de nos sociétés à gérer sur le long terme. Car, et ce n’est pas nouveau, c’est l’économie à court terme et immédiate qui prime sur tout le reste. A l’image de la situation en Irak, où, pour du pétrole bon marché, on déclenche une guerre extrêmement coûteuse plutôt que d’élaborer des stratégies énergétiques vers d’autres sources plus durables. Concernant la Suisse, les politiciens vous diront qu’ils sont tout à fait conscients du problème. Mais le lendemain, ils seront conscients d’autres problèmes, surtout s’il y a de l’argent à la clef. Il y a deux ans, j’ai fait un discours sur les risques pour l’agriculture mondiale dans le cas d’un réchauffement climatique accéléré devant un parterre de politiciens et autres. A l’apéritif qui a suivi, beaucoup sont venus me dire qu’ils ne s’étaient pas rendus compte de la gravité du problème. Mais 2 ou 3 semaines plus tard, lors de l’inauguration du dernier tronçon de l’autoroute entre Berne et Yverdon, ces mêmes personnes dithyrambiques encensaient cette nouvelle autoroute qui allait créer de l’emploi, désenclaver les régions etc... Cela voulait dire augmenter la mobilité, la circulation donc l’émission de gaz à effet de serre qui est la clef du problème climatique. Mais, à leur décharge, si moi-même je devais prendre des décisions politiques, des décisions contraignantes sur un problème qui va se manifester le long de ce siècle dont on ne connaît pas bien l’amplitude réelle, je serais dans une situation bien délicate. D’où l’intérêt dès aujourd’hui d’estimer de mieux en mieux l’impact financier des événements extrêmes ou des changements durables à venir. Mais au-delà de la Suisse et des pays occidentaux, qui ont peut être les moyens financiers de s’en sortir, les pays émergents où vivent l’essentiel de la population mondiale, eux, n’auront pas cette capacité. Grégoire Floch
[16/09/2004]
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