-  +
Les bisses du valais: kesako ?

Creusés dans le sol ou taillés dans les parois rocheuses, les bisses du Valais sont les témoins d’une histoire, d’une culture, d’une civilisation. Ils symbolisent le combat des Valaisans pour le contrôle de l’eau. Et puis, ils offrent de si jolies promenades...

Parmi les randonnées possibles en Valais, certains petits chemins, sans trafic motorisé, à la pente doucement inclinée, constituent des randonnées très appréciées et permettent de découvrir un des aspects les plus pittoresques du Valais. Ces sentiers, qui suivent l’eau des torrents alpins déviée artificiellement afin d’irriguer champs et pâturages à flanc de coteau, se nomment les bisses. Tombés en désuétude au milieu du XXème siècle avec la disparition des métodes d’agriculture traditionnelles, ils connaissent un renouveau provoqué par l’intérêt du public pour les randonnées pédestres.


Petite histoire des bisses

Les premiers documents attestant de l’existence des bisses datent du XIIIème siècle. A cette époque, il semble qu’une période de réchauffement du climat et une croissance soutenue de la population aient nécessité des travaux d’irrigation importants. Cependant, les parchemins médiévaux mentionnent tous des bisses plus anciens encore, dont l’origine et l’ère de construction restent des mystères.

De nombreuses légendes populaires comblent ces lacunes en faisant appel à Satan, aux fées et à d’autres créatures extraordinaires pour expliquer l’apparition des plus anciens canaux. Dans les villes, où l’on dédaignait les histoires de lutins ou de diablotins, le crédit de la constuction des premiers bisses revenait soit aux Romains, soit aux Sarrasins. Ces hypothèses ne reposent sur rien et les constructeurs de ces réalisations, à l’audace surprenante, sont bien les montagnards du Vieux-Pays.

Au XIVème siècle, les archives montrent que la gestion de l’eau devient un problème primordial pour les communautés. Les troupeaux de bovins ayant fortement augmenté, il faut assurer le rendement des prés afin de fournir un fourrage abondant. La seule solution consiste à drainer l’eau des rivières glacières jusque dans les champs du village. Entre 1420 et 1485, la totalité des communes valaisannes se lance dans la construction ou la réfection d’un bisse de grande envergure.

A cette époque apparaissent les premières guerres de l’eau. A la suite de circonstances variées, une communauté voit ses besoins augmenter et détourne une portion de la rivière la plus proche. Ce qui ne manque pas de provoquer une expédition punitive de la partie lésée qui détruit les nouveaux canaux et rétablit la situation primitive. Les affrontements parfois sanglants s’enchaînent jusqu’à ce que le pouvoir politique s’en mêle. De longs procès, dont certains ont duré plusieurs dizaines d’années, opposent alors les villages voisins. L’histoire montre que l’autorité fait preuve d’une sagesse exemplaire et tranche toujours dans le même sens : l’eau appartient à ceux qui en ont besoin.

A partir de 1500 et jusqu’au XIXème siècle, si le problème de l’irrigation demeure primordial, on assiste à une stabilisation de la situation. Il n’y a que très peu de mises en chantier de nouveaux bisses. L’hypothèse la plus plausible de ce ralentissement réside dans une modification du climat. Le « petit âge glaciaire » provoque un refroidissement des températures et une augmentation des précipitations entre le XVIIème et le XIXème.

Au XIXème, sous l’effet du réchauffement, les glaciers se mettent à reculer alors que les besoins en eau se font plus importants à cause de la croissance de la population et de l’apparition d’un élevage plus intensif. Pour remédier au problème, on se met à moderniser et à réparer les bisses dans toutes les régions du Valais. L’Etat s’implique dans la gestion des ressources et en 1871, une première étude est publiée. Elle recense 117 bisses pour un total de 1536 kilomètres de canaux. Afin de produire un fourrage plus abondant pour le bétail dont le nombre ne cesse de croître, plus de 80 nouveaux ouvrages se construisent entre 1870 et 1907. Les sommes engagées sont colossales pour l’époque et dans de nombreux cas, on décide le percement de tunnels qui nécessitent un matériel et des compétences importantes.

Si la première moitié du XXème siècle continue également l’oeuvre de modernisation et d’accroissement des canaux d’irrigation, la situation change radicalement après la deuxième guerre mondiale. L’élevage diminue fortement et les prairies ne requièrent plus autant d’eau. Leur rôle agricole se fait de moins en moins sentir et ces témoins du Valais pastoral semblent promis à une disparition rapide.

Pourtant, le développement d’un tourisme proche de la nature leur accorde un sursis. En 1980, un plan d’intégration des bisses dans les plans d’aménagement du territoire est lancé. En 1990, un inventaire recense 165 bisses encore en utilisation dont près d’une centaine sont utilisés à des fins touristiques. Dans certains cas, les vestiges font l’objet d’une rénovation didactique ou ornent les salles de musées consacrés aux bisses.


Les techniques de construction

Lorsque la topographie le permet, une simple rigole est creusée dans la terre. Pour éviter des déperditions trop importantes, le fond du canal est pavé ou tapissé de planches et les parois sont consolidées par des dalles ou des branches. Ce système s’applique surtout aux réseaux secondaires. Le bisse principal qui traverse parfois des parois abruptes, des pentes instables ou des rocailles nécessite des travaux plus complexes.

Des troncs de mélèze évidés et emboîtés les uns à la suite des autres constituent le type le plus simple de canal artificiel. Evidemment, le diamètre de l’arbre décide de la quantité d’eau véhiculée et restreint cette technique à des ouvrages de faible débit.

Afin de permettre le passage à des torrents de fort volume, il faut assembler des planches pour créer un chenal en forme de « U », qui permette en outre un étroit passage pour le gardien du bisse. Ces constructions prennent toutes leurs dimensions lorsqu’il faut franchir des parois abruptes, qui demandent une fixation solide et durable à flanc de falaise.

Le système le plus répandu de fixation consiste en une pièce de bois en forme de crochet suspendue à une petite poutre fichée dans un trou creusé dans la roche. Les troncs évidés d’un diamètre de 50 centimètres sont descendus le long de la falaise. Accroché à la paroi, le chenal est ensuite recouvert d’un couvercle de planches qui sert de passage au gardien.

Parfois, le bisse est posé sur des poutres, appelées consoles, fichées dans la roche. Dans de nombreux cas, la configuration des lieux ne permet pas de faire descendre les ouvriers suspendus par des cordes et le travail impose des dons d’équilibriste. Voici la description qu’en fait le peintre Franzoni en 1894 : Une simple planche appuyée sur la première console est fortement chargée d’un côté, afin de faire contrepoids à l’individu qui doit avancer sur la partie ballante pour percer le trou d’une nouvelle console. Suspendu dans le vide, à cheval sur la planche, l’ouvrier travaille et avance petit à petit, établissant ses niveaux comme il peut pour rejoindre des points de repère qui lui sont fixés depuis l’autre côté de la vallée. Une fois la console établie et bien calée, il pose la planche dessus, fixe de la même manière la console suivante qui sera reliée à l’autre, et ainsi de suite.


Mode de fonctionnement des bisses


Il n’existe pas en Valais de bisse important à statut privé. La construction et l’exploitation de ces ouvrages sont des entreprises collectives, financées et exécutées par des villages, des communes, mais le plus généralement par des groupes de privés. Le consortage représente la forme juridique prédominante. C’est-à-dire que les propriétaires d’un territoire à irriguer unissent leurs efforts, construisent un canal et organisent l’arrosage de leurs parcelles. Dans le cas des plus grands bisses, la totalité des habitants participent au consortage et la gestion de l’eau peut être confiée aux autorités villageoises.

Le bisse ne fonctionne que durant l’été. Mais pour que l’eau puisse s’écouler sans difficulté à cette période, divers travaux ont lieu d’avril à septembre qui impliquent généralement l’ensemble de la communauté. Au printemps, il faut remettre en état les tronçons mis à mal par les éléments. Chutes de pierres endommagent ou obstruent les canalisations. Certains passages plus exposés ont été ôtés avant l’hiver et doivent être réassemblés. Lorsque le tracé est rétabli, il convient de s’assurer de l’étanchéité de la construction. Pour ce faire, on utilise des petits tas de mousse et d’humus provenant de la forêt. Emportés par le courant, ils forment une masse boueuse qui doit colmater les interstices les plus fins grâce au travail des vouasseurs. Ceux-ci travaillent en équipe, et alors que le premier s’accroupit dans le bisse pour arrêter le courant, les autres sautent dans le torrent et brassent l’humus. Celui-ci s’agglutine aux aiguilles de sapin dont on a garni les fissures. Dès que la fuite est colmatée, le bouchon vivant sort du canal. Un autre vouasseur s’apprête déjà à bloquer l’élément liquide un peu plus loin. En se relayant, ces hommes assurent l’étanchéité du bisse. [Paris]

La répartition de l’eau impose une organisation importante. Chaque consort dispose de droits d’arrosage répartis en fonction des besoins de chacun et qui sont réévalués à intervalles réguliers. Les heures où chacun peut détourner le bisse sur ses terres sont strictement observées et des peines sévères sanctionnent les « voleurs d’eau ». L’arrosage se fait grâce au travail des écluses, ces plaques de bois ou de métal que l’on peut abaisser afin de détourner le cours du torrent dans les prairies à irriguer. Lorsque le temps qui lui est imparti pour inonder ses champs se termine, le consort remet l’écluse dans sa position primitive afin de permettre à d’autres de bénéficier du précieux liquide.
Alexandre Truffer
[10/07/2004]



En savoir plus >>>


  ENVOYER A UN AMI
 VOTRE AVIS SUR CET ARTICLE :    bof   ça va   bien   génial   >>>>  

© Association NiceFuture - Tous droits de reproduction et de diffusion réservés  |  Design & Content Management System:  bleu-vert communication www.NiceFuture.com  |  www.BoutikEtik.ch  |  www.angesgardiens.ch  |  www.festivaldelaterre.ch  |  www.ethicalfashiondays.ch